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Patrimoine: la savoureuse histoire de la fraise de l’île d’Orléans

Comment un petit fruit devient-il le symbole d’un terroir? Une étudiante en histoire analyse le processus de patrimonialisation de la fraise de l’île d’Orléans 

Par : Alexandra Perron, journaliste pour ULaval nouvelles, la plateforme d’information de l’Université Laval

Elle arrive tout juste sur le marché, la fraise de l’île d’Orléans. On l’aime pour son goût, pour son parfum, pour sa couleur… on l’aime tout court. Mais connaissez-vous son histoire? Comment ce petit fruit rouge s’est-il taillé une place de choix dans notre patrimoine alimentaire populaire? Florence Gagnon-Brouillet, étudiante au doctorat en histoire, a consacré son mémoire de maîtrise à cette ascension.

«La fraise de l’île a commencé à être produite dans les années 1870 à la demande d’un commerçant citadin», indique l’étudiante de l’Université Laval, qui a présenté les résultats de sa recherche au 89e congrès de l’Acfas, le mois dernier. Le «processus de patrimonialisation» qui s’ensuivra s’explique de plusieurs manières, pour des raisons aussi bien économiques, historiques, géographiques, politiques, sociales que culturelles.

Au début du 20e siècle, la demande pour la fraise est très forte. «Grâce aux nutritionnistes, aux médecins et aux avancées scientifiques, on découvre l’importance des vitamines», expose l’étudiante. Fruits et légumes, autrefois supplantés par les protéines et les produits laitiers, prennent alors du galon.

L’impact de l’industrialisation

Autre source de pression sur la production: l’industrialisation. Avec les nouvelles méthodes de conservation dans les grandes industries, il y a un besoin massif de produits frais, voués au cannage ou à la transformation en confiture. Les industriels veulent faire affaire avec un seul fournisseur plutôt que s’éparpiller. Les producteurs de l’île passeront de la polyculture à la monoculture et plusieurs d’entre eux choisiront de se concentrer sur la fraise.

Ce marché devient excessivement rentable, indique Florence Gagnon-Brouillet. «Dans les années 1930, l’île d’Orléans fournit environ 90% des marchés de la ville de Québec, ce qui est quand même énorme, et en 1933, les profits de la culture de la fraise s’élèvent à 60 000$, puis l’année suivante, déjà à 70 000$.»

« Dans les années 1930, l’île d’Orléans fournit environ 90% des marchés de la ville de Québec, ce qui est quand même énorme. »
 Florence Gagnon-Brouillet

L’étudiante souligne que ce petit fruit fragile ne se transporte pas bien sur de grandes distances. Le territoire, le microclimat de l’île, les types de sols et la proximité du marché de Québec ont été déterminants dans la décision de cultiver la fraise insulaire.

Ce qu’en disent les journaux

Cette transition se remarque même dans le vocabulaire. Alors que les journalistes avaient l’habitude de désigner l’île d’Orléans comme l’«émeraude du Saint-Laurent», la «corbeille de verdure», le «jardin-potager de Québec», le vent tourne dans les années 1920-1930. «On la décrit maintenant comme étant le jardin de la fraise ou le paradis de la fraise, a constaté Florence Gagnon-Brouillet en épluchant les journaux. Cette spécification dans l’appellation permet de vraiment mesurer la consolidation du lien entre le lieu et le produit.»

Cueillez-les vous-mêmes

L’autocueillette renforce aussi l’association entre l’île et la fraise. Dans les années 1970, les familles de cultivateurs rapetissent et les cueilleurs se font plus rares. La fraise nécessite une récolte délicate, le processus doit être manuel. Le gouvernement propose alors une campagne intitulée «Cueillez-les vous-mêmes».

Les producteurs de l’île embarquent massivement dans ce mouvement de valorisation, 53 ouvrent leurs champs aux particuliers, contre 29 dans le comté de Bellechasse, rapporte l’étudiante. En 1980, le ministre de l’Agriculture, Jean Garon, fait un passage médiatisé à l’île pour célébrer l’ouverture de la saison des fraises et inviter la population.

«L’autocueillette permet de développer un marché parallèle où les consommateurs n’ont pas besoin d’avoir une certification pour savoir que le produit vient de l’île d’Orléans. C’est une des hypothèses, puis des thèses que j’avance. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de certification que le patrimoine n’existe pas.»

Si l’autocueillette était au départ une façon d’économiser pour les consommateurs, ce n’est plus le cas quelques décennies plus tard. Avec le coût de l’essence, il faut dépenser pour se rendre à l’île, mais l’activité devient alors associée au plaisir, à un univers symbolique, à une tradition. «Beaucoup de nos ancêtres ont été des agriculteurs, c’est donc une manière de revitaliser la mémoire», analyse Florence Gagnon-Brouillet.

La participation des femmes

La participation des femmes dans le processus de patrimonialisation de la fraise de l’île n’est pas négligeable, souligne l’étudiante. À l’été 1904, les lectrices réclament des recettes pour apprêter la fraise dans une section de journal qui leur est consacrée.

Le krach boursier de 1929 et la Seconde Guerre mondiale plongent ensuite les ménages dans la pauvreté. «On peut faire un parallèle avec la pandémie. Qui dit crise, dit encouragement de l’économie locale», poursuit Florence Gagnon-Brouillet. Si bien que les ménagères de l’époque vont abandonner les desserts à base d’ananas pour valoriser les produits locaux et cuisiner au fil des saisons, ce qui coûte moins cher.

En 1943, elles vont acheter la fraise de façon patriotique, alors qu’une publicité désigne ce petit fruit parmi «les plus savoureux aliments de la victoire de l’année».

En 1943, le magasin Dominion (une grande chaîne commerciale) fait paraître une annonce dans le journal mettant en vedette les fraises de l’île d’Orléans, qualifiées comme étant « les plus savoureux aliments de la victoire de l’année ».

De génération en génération

Au fil de ses entrevues avec les agriculteurs, Florence Gagnon-Brouillet a constaté le fort lien affectif avec les fraises, souvent depuis des générations. «Ils en parlent comme si c’était leurs enfants. Il faut les couvrir s’il fait froid… C’est vraiment leur vie.» Les producteurs n’ont pas cherché à reproduire les anciennes variétés de fraises, beaucoup trop fragiles; ils ont toujours innové et été à l’avant-garde des dernières technologies et des volontés du consommateur. La tradition n’est pas dans les semences, mais dans le gage de qualité perpétuelle, analyse l’étudiante. Avec pour résultat un fruit devenu un joyau patrimonial.

«Si la fraise a pu profiter du lieu symbolique qu’était l’île d’Orléans, donc berceau de l’Amérique française, l’inverse est aussi vrai, un produit peut favoriser le développement d’une localité.»

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Consulter en ligne le mémoire de maîtrise de Florence Gagnon-Brouillet: Un processus de patrimonialisation vivant et populaire en milieu québécois: la fraise de l’île d’Orléans (1900 à aujourd’hui)